La perception de la douleur
Anthropologie de la douleur


Image 1L’anthropologie de la douleur ou l’influence de l’appartenance culturelle et religieuse sur le vécu douloureux et les modes d’expression de la douleur a déjà fait l’objet de plusieurs investigations sur lesquelles nous nous sommes appuyées, notamment de la part de Mark Zborowski et de David Le Breton. Nous verrons dans un premier temps l’influence de la culture et de l’éducation puis celle de la religion sur la façon dont les peuples appréhendent la douleur.

Image 1Mark Zborowski fut l’un des premiers à se pencher sur la question, il mena ses recherches dans un hôpital des Etats-Unis où il s’intéressa à plusieurs patients confrontés à la douleur et ayant des origines ethniques différentes : italiennes, juives, irlandaises et les old Yankees (ce sont des Américains de longue date le plus souvent protestants). Durant cette étude, il observa malgré quelques similitudes une grande diversité dans les comportements des patients, face à la douleur ; ainsi les Juifs comme les Italiens se plaignaient volontiers et réclamaient leurs proches auprès d’eux alors qu’à l’inverse, Irlandais et old Yankees avaient plutôt tendance à s’isoler de leurs proches, à ne pas se plaindre et à cacher leur souffrance le plus longtemps possible... Bien qu’un trait de caractère réunissait Italiens et Juifs, on notait tout de même une différence dans la réaction de chacun face à la disparition subite de la douleur, alors que les premiers ressentaient un réel soulagement, les seconds, eux, s’inquiétaient des causes de cette disparition soudaine et de ses effets à long terme. De même, le tempérament des Irlandais et des old Yankees différait quelque peu : alors que les old Yankees conservaient leur optimisme lors de l’épreuve, les irlandais tendaient à sombrer dans la tristesse et l’inquiétude. Bien que ces affirmations soient assez caricaturales et discutables, Mark Zborowski a tout de même le mérite d’avoir, grâce à sa recherche, attiré l’attention des hommes sur la « variabilité culturelle des modèles de conduite quant au vécu douloureux ».
Image 1Le rapport à la douleur peut aussi être conditionné par la tradition, prenons l’exemple des Bariba du nord du Bénin et du Nigeria; ce peuple est réputé pour son absence de réaction à tout stimulus douloureux. Que ce soit lors d’un accouchement, à la suite d’une profonde entaille ou d’une simple égratignure, un « vrai » Bariba ne ressent ou plutôt n’exprime pas sa douleur… Cette autant étrange qu’incompréhensible conception de la douleur, pour nous Européens, a d’ailleurs fait l’objet d’une étude ethnologique. Celle-ci révéla que chez les Baribas manifester une quelconque preuve de souffrance est un signe de lâcheté et suscite la honte. En cas de blessure grave ou d’accident, le meilleur comportement est l’indifférence, l’absence manifeste de réaction… là bas les femmes accouchent seules et ne peuvent manifester aucun signe de gêne ou de malaise. En fait la douleur est un sujet tabou et il n’existe d’ailleurs que peu de mots dans la langue bariba pour en parler.
Image 1Un autre exemple dans le sud-ouest de la Tanzanie; un ethnologue raconte que dans la société qu’il étudie, une femme sachant qu’il possède une trousse de secours lui amène son enfant pour un léger « bobo » au pied. La mère comme l’enfant ne semblent pas considérer la blessure avec gravité. Lorsque l’ethnologue délie le bandage de l’enfant, il découvre avec stupéfaction que l’on aperçoit l’os de l’enfant dont le pied ressemble, selon ses termes, à « une masse gélatineuse ». Plus tard, on l’appelle au chevet d’une petite fille souffrant d’une constipation. Ce dernier cas, banal à nos yeux, est considéré comme très grave par les membres de cette société, car la constipation peut être due à une action malveillante, par exemple celle d’un sorcier.

Image 1 La façon dont les peuples appréhendent la douleur varie aussi selon leur religion. Dans la Bible, il est écrit que la douleur est une punition divine infligée lors du non respect des dix commandements, des lois « dictées » par le seigneur, mais la tradition chrétienne assimile en revanche la douleur au péché originel. Pour les chrétiens catholiques, la douleur est donc vue comme une punition inévitable qui s’abat sur toute la condition humaine. De plus longtemps pour le chrétien la douleur a été un lien avec le Christ, une façon de partager sa souffrance. Cette conception de la douleur récurrente dans notre culture et causée par le fait que nos sociétés occidentales soient principalement judéo-chrétiennes explique pourquoi très longtemps la douleur est restée sous estimée voir même totalement ignorée. A l’inverse, plutôt que de masquer leur douleur, les musulmans, eux, sont souvent demandeurs de soins comparés aux juifs et aux chrétiens : la douleur n’est pas la sanction d’une faute, elle est prédestinée, inscrite en l’homme bien avant sa naissance. Mais si Dieu a créé la douleur il a aussi donné à l’homme les moyens de la combattre par la médecine et la prière. En effet les musulmans n’ont jamais refusé de soigner la douleur leur religion n’en entravant pas la prise en charge. De plus, la médecine est une science connue depuis des siècles. Pour les orientaux, la misère humaine n’est pas le fait d’une punition des dieux, mais de la seule ignorance des hommes. La libération réside dans la révélation grâce à laquelle toute souffrance s’évanouit. Là, la douleur n’est plus ni prédestinée ni due au non-respect des règles, elle est causée par l’ignorance humaine. Alors que chez les polythéistes tels que les bouddhistes ou les hindouistes, la religion permet aux hommes de s’affranchir de la douleur par la spiritualité.
Image 1 Ces récit et études nous montre que pour évaluer le plus objectivement possible la douleur, il faut prendre en compte l’origine ethnique et la religion du patient ou, pour un enfant, celles de ses parents. On observe en effet une très grande variabilité des symptômes en fonction de la culture du soigné.

Image 1 On observe également une différence entre les sexes. Déjà, même si les mentalités évoluent, un homme doit se montrer fort, alors qu’une femme peut plus facilement se laisser aller. Ces idées sont inculquées dès le plus jeune âge, un petit garçon qui pleure sera tancé par ses amis (oh la nunuche..), alors qu’on s’inquiétera pour une petite fille.
Physiologiquement, il existe bien apparemment une différence ; le pouvoir inhibiteur de la douleur semble en effet moins actif chez la femme que chez l’homme, met les femmes sont plus sensibles, car leur peau contient plus de récepteurs. De plus, les femmes sont statistiquement plus sujettes à certaines douleurs comme la migraine ou la fybromalgie ( Cette affection est caractérisée par un état douloureux musculaire chronique, ainsi qu'une fatigue persistante ).
Image 1Il y a aussi une différence dans la manière de percevoir psychologiquement la douleur : ainsi les hommes évoquent surtout les contraintes physiques et sociales « gêne, fatigue, mauvaise humeur », la solitude et la dévalorisation de soi; ils se sentent inutiles, ils pensent qu’il sont pitoyables, qu’ils sont un poids pour leur entourage. Au contraire une femme va évoquer plutôt l’intensité de sa douleur, et sa dimensions psychique avec des termes comme « angoisse, insupportable, l’idée de la mort, un poids.. ». On observe une plus grande capacité à verbaliser, et à assumer la douleur chez la femme que chez l’homme qui peut éprouver plus de difficultés à faire face à la douleur, même si, au final, hommes et femmes éprouvent les mêmes angoisses.


Image 1 Finalement, comment est vécue la douleur ?

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